mardi 9 novembre 2010

Et n'oublions pas Edward W. Said

« L’idée qu’il existe des espaces géographiques avec des habitants autochtones foncièrement différents qu’on peut définir à partir de quelque religion, de quelque culture ou de quelque essence raciale qui leur soit propre est extrêmement discutable. » Le découpage géographique lui-même ne peut être qu’arbitraire. Où placer les frontières ? « L’ordre dont l’esprit a besoin est atteint grâce à une classification rudimentaire ; mais il y a toujours une part d’arbitraire dans la manière de concevoir les distinctions entre objets ; ces objets mêmes, quoiqu’ils semblent exister objectivement, n’ont souvent qu’une réalité fictive. Des gens qui habitent quelques arpents vont tracer une frontière entre leur terre et ses alentours immédiats et le territoire qui est au-delà, qu’ils appellent “le pays des barbares”. Dans une certaine mesure, les sociétés modernes et les sociétés primitives semblent ainsi obtenir négativement un sens de leur identité. » Il appelle cela la « dramatisation de la distance ».

12 commentaires:

Laure K. a dit…

les blogs permettent, il me semble, d'abolir ce genre de frontières géographiques, l'autre est un frère palpable quand les mots parviennent au coeur à coeur, et non pas au coeur des masses médiatiques et politiques qui elles, tracent habilement les lignes pour définir des différences majeurs, alors que nous naissons tous de la même terre.
Diviser pour mieux régner.

laurence a dit…

oui considèrons cela de manière "géoplitique"...une autre façon d'aborder le monde, la société...
Alors la ruche?

l'abeille blonde a dit…

la ruche, une allusion aux abeilles

je me permets une petite intervention: bravo d'abord pour votre intérêt pour Edward Said.

Je doute qu'il soit très connu des Français. Mais c'est vrai que son regard est vraiment décapant: il disait des intellectuels qu'ils ont là pour "déterrer les vérités oubliées, d’établir les connexions que l’on s’acharne à gommer et d’évoquer des alternatives".

ou alors "L’intellectuel, au sens où je l’entends, est quelqu’un qui engage et risque tout son être sur la base d’un sens constamment critique."

On est loin des intellectuels médiatiques de nos temps modernes!

laurence a dit…

Allez l'abeille ne regrettez pas vos vieilles reines...
Il me semble qu'au pays des aveugles les borgnes sont rois...

le bourdon masqué a dit…

tjukurpa.

l'abeille blonde a dit…

eh oui le bourdon

l'origine du monde comme dirait Courbet

Georg-Friedrich a dit…

Et n'oublions pas non plus Jack Goody : "Aux yeux des Grecs, les Perses étaient des "barbares" adonnés à la tyrannie, qu'ils préféraient à la démocratie. Il s'agit là, bien sûr, d'un jugement purement ethnocentrique nourri par la guerre gréco-perse. Le supposé déclin de l'Empire perse à partir du règne de Xerxès, par exemple, est le produit d'une vision centrée sur la Grèce et Athènes ; rien ne l'atteste dans les documents, qu'ils soient élamites de Persépolis, accadiens de Babylone ou araméens d'Egypte, ni dans l'archéologie. Les Perses étaient en fait aussi "civilisés" que les Grecs, surtout s'agissant de l'élite. Et c'est par eux essentiellement que fut transmis aux Grecs le savoir détenu par les anciennes sociétés lettrées du Proche-Orient." (Le Vol de l'histoire, Gallimard, 2010, p. 172)

laurence a dit…

Toujours épatée par votre savoir Georg-Friedrich j'ai raté le "Couronnement de Poppée"mais grace à vous...

Georg-Friedrich a dit…

Oh? C'est de l'histoire ancienne Poppée... Maintenant je suis là : italiansbetter2.blogspot.com

l'abeille blonde a dit…

@ Georg Friedrich

Je dois avouer cher Georg Friedrich que je suis moi aussi épatée. Je me souviens de votre édifiante comparaison entre Cécilia Bartoli et Goody dans l'un de vos écrit à la gloire de Goody.

Entre le bel Canto, parfait mais parfois un peu froid (excusez moi Laurence) de la chanteuse et notre anthropologue génial, il y a sans doute un parallèle à faire dans la forme d'engagement.

Mais pour en revenir à la comparaison avec Said, il me semble que la dimension politique est pratiquement inexistante chez Goody alors qu'elle est la raison d'être de Said.

Ce qui ne retire rien bien sûr à l'ensemble de l'oeuvre de Goody, si méconnue!

@ Laurence

j'avoue ne pas bien comprendre la parabole des aveugles, ni à quoi elle fait référence! étant moi-même une vieille reine, je n'ai pas l'attention de me laisser tomber!

Mais continuez c'est toujours intéressant!

Georg-Friedrich a dit…

Chère abeille blonde,

Je suis flatté par votre message et ne croyais pas que j'étais lu aussi attentivement... Mais pour revenir à Goody, je ne crois pas que la dimension politique soit totalement inexistante chez notre anthropologue. Ses livres ont clairement des conséquences antiracistes, et quand il critique Needham, Braudel et surtout Norbert Elias, qui fait de la "civilisation" un monopole occidental, on se doute bien qu'une telle position est sous-tendue par une vision
généreuse et égalitaire qui peut alimenter et servir le combat politique...
L'eurocentrisme qu'il dénonce si vivement chez les trois penseurs que j'ai cités plus haut est toujours pour lui l'expression d'un profond ethnocentrisme impliqué par une vision raciste du monde et des hommes, vision reprise et célébrée à l'université française qui considère qu'Elias est un grand sociologue. Voilà pourquoi la lecture de Goody est si salutaire. Allez, je m'y remets, avant d'en remettre bientôt un couche sur mon blog!

l'abeille blonde a dit…

Et oui il y a des butineuses qui lisent et "polen lisent".

Pour en revenir à votre héros. Bon je suis d'accord pour parler, si on lit bien, de dimension politique, mais le point d'action de Said était la politique, alors que chez Goody c'est la recherche, engagée certes, mais son seul terrain c'est la vie intellectuelle!

Pour Said, c'est d'abord un acteur engagé politique. dans un sujet qui est toujours d'actualité. En ce sens il met la science au service du politique. Son combat est avant tout politique (au sens noble du terme). Quand il se bat, c'est contre des terroristes arabes et juifs et non contre Norbert Elias ou un autre... c'est quand même plus risqué non!

Mais continuez comme notre hôtesse vous encourage à le faire d'ailleurs!